Après la défaite de Pavie contre Charles Quint (1525), François Ier fut emmené en captivité à Madrid. Il fut libéré au bout de quelques mois, en acceptant de livrer en otages ses deux jeunes fils, François et Henri. Ceux-ci revinrent en France en 1530 après le paiement d'une très forte rançon.

 

En août 1536, le fils aîné de François Ier, qui s'appelait aussi François et n'avait que 18 ans, décéda à Tournon. Très vite, on pensa que sa mort avait été causée par un empoisonnement perpétré quelques jours auparavant à Lyon. On accusa un membre de sa suite, le comte Sébastiano de Montecuculli, d'être l'auteur du crime. Il fut soumis à la torture, il avoua et fut écartelé sur la place de la Grenette, à Lyon. La plupart des historiens pensent aujourd'hui que Montecuculli fut accusé et condamné à tort. Le dauphin François est vraisemblablement mort d'une maladie pulmonaire foudroyante.

 

Dès que la mort du dauphin François fut connue à Lyon, Étienne Dolet conçut le projet de réaliser un recueil d'hommages dédiés à sa mémoire. Il réussit à convaincre une vingtaine de poètes de participer à l'affaire. Lui-même écrivit quelques pièces et une préface. Comme il n'avait pas encore de presses à cette époque, il fit imprimer le livre chez François Juste, avec ce titre : Recueil de vers latins, et vulgaires de plusieurs Poètes français, composés sur le trépas de feu Monsieur le Dauphin.

 

Dolet tenait à plaire au roi. Il espérait obtenir de sa part un privilège d'imprimeur. Il eut l'idée d'organiser son recueil en deux parties, l'une en latin, l'autre en français pour montrer que le français pouvait aussi bien que le latin traiter de sujets nobles et graves. Maurice Scève y a pris la plus grande part : cinq poèmes en latin, trois en français, dont le plus long, l'églogue Arion.

L'églogue est un genre poétique, généralement dialogué, qui met en scène les occupations champêtres et les amours simples de bergers et bergères. Malgré son appellation, Arion n'est guère conforme à ce modèle. Saulsaye est aussi sous-titrée églogue.

 

Arion est un poète et musicien de la Grèce antique. Au cours d'un voyage en Méditerranée, il fut pris par des matelots qui voulaient le jeter à la mer pour le détrousser. Il obtint de ses bourreaux la faveur de chanter une dernière fois à la proue du navire avec sa lyre, puis il se lança dans les flots. Un dauphin qui avait été charmé par son chant s'approcha de lui, le prit sur son dos et le mena sain et sauf jusqu'au rivage.

 

Dans son poème, Maurice Scève joue avec les différents sens du mot dauphin. En acceptant la captivité à Madrid à la place de son père, le dauphin sauve François Ier, devenu un nouvel Arion. Reconnaissant, Arion sauve à son tour le dauphin en cédant à ses geôliers la plus grande partie de son trésor. À son retour chez son père, le dauphin apporte en cadeau la paix au monde entier. Le peuple exulte. Arion chante sa joie. Mais la mort injuste frappe le dauphin. Arion est écrasé par le désespoir. La folie l'emporte. Il quitte le rivage, le voici berger. Il prend congé de ses brebis et de sa compagne. Il jette sa lyre, demandant qu'on le laisse seul, dans la solitude et le silence, en attendant que la mort l'emporte.

 

Arion fut signé « autheur : Scaeve » avec la même devise que Flammette : « SOUFFRIR SE OFFRIR ».

 

On peut s'interroger sur le résultat de l'entreprise courtisane de Dolet. Il obtint le privilège espéré, mais Scève ne fut jamais un poète de cour. Est-ce que l'image de cet Arion qui renonce à ses brebis, qui brise sa lyre et annonce sa propre mort, fut du goût de François Ier ?