Clément Marot (1496-1544)

 


Portrait présumé de Clément Marot par Corneille de Lyon © Musée du Louvre/A. Dequier-M. Bard (R.F. 1949-12)
Portrait présumé de Clément Marot par Corneille de Lyon © Musée du Louvre/A. Dequier-M. Bard (R.F. 1949-12)

Clément Marot est l'un de nos plus grands poètes. Son œuvre profane est faite pour l'essentiel de poèmes de circonstances, remarquables par leurs trouvailles verbales, la variété des formes et des rythmes, la vivacité du ton où la gravité se mêle à la franche gaudriole.

 

Il a donné à plusieurs reprises des éditions de ses œuvres, qu'il remaniait régulièrement, sous différents titres : L'Adolescence clémentine, La Suite de d'Adolescence clémentine, Les Œuvres de Clément Marot.

 

Il a été souvent imité, pillé, publié à son insu. Il aura d'ailleurs un grave conflit avec Étienne Dolet suite  à une édition qui n’était pas fidèle à son intention.



Marot à Ferrare, à propos de Maurice Scève : "point ne le connais"

Autant Maurice Scève ne semble pas avoir eu le goût des voyages (on ne lui connaît qu'un séjour en Avignon et des passages à Bissy-sur-Fley chez son ami Pontus de Tyard), autant Clément Marot a eu une vie nomade, le plus souvent sous la contrainte du destin. En 1535, il est obligé de s'exiler pour échapper aux poursuites engagées contre lui après la triste affaire du "placard contre la messe". Il se réfugie à Ferrare, à la cour de Renée de France, qui ne fait pas mystère de ses sympathies pour les Réformateurs, au grand mécontentement de son mari le duc Hercule d'Este.

 

Lorsque Marot annonce, dans une épitre envoyée de Ferrare, le résultat du "concours" des blasons, il ne cite pas le nom de Scève. Il indique que le gagnant est un Lyonnais, mais qu'il ne le connaît pas. Nous sommes alors au début de l'année 1536.

 À ceulx qui après, l'Épigramme du beau tétin, en feirent d'autres.

 

(...)

Mais du sourcil la beauté bien chantée

A tellement notre Court contentée,

Qu'à son aucteur notre princesse donne,

Pour ceste foys, de laurier la couronne,

Et m'y consens, qui point ne le congnais,

Fors qu'on m'a dict que c'est un Lyonnois.



1536-1537 : Maurice Scève et Clément Marot se rencontrent à Lyon

 

Après avoir obtenu de François Ier l'autorisation de rentrer en France, à condition d'abjurer ses "erreurs" religieuses, ce qu'il fera sur le parvis de la cathédrale Saint-Jean, Clément Marot arrive à Lyon à la fin de l'année 1536 et il en repart en janvier 1537. Pendant ce  séjour à Lyon, Marot a eu tout le loisir de rencontrer Maurice Scève. Ensemble, ils ont parlé musique, si l'on en juge par cette épigramme malicieuse que Marot adressa à Scève.

 

Clément Marot fit également la connaissance des sœurs de Maurice Scève. Il adressa à Claudine et Sybille une Épigramme pleine d'esprit où il s'excuse de ne pouvoir venir les visiter un jour de froid car il était malade. Jeanne eut droit à une Étrenne de sa part, où il la compare à une « Princesse d'excellence ».

 

A Maurice Scève, Lyonnois.

 

En m'oyant chanter quelquefoys


Tu te plaings qu'estre je ne daigne

Musicien, et que ma voix


Mérite bien que l'on m'enseigne,


Voyre que la peine je preigne


D'apprendre ut re my fa sol la.


Que Diable veux-tu que j'appreigne ?


Je ne bois que trop sans cela.

 

En m’oyant  : gérondif du verbe ouïr = En m'entendant

preigne  : forme ancienne du subjonctif présent du verbe prendre = prenne ;

de même appreigne pour apprenne

ut = do.

A Jane Scève Lyonnoise.

 

Je ne sçais pas quelles Estraines

Plus excellentes vous vouldriez,

Que les graces tant souveraines

Des dons à vous appropriez.

Mais je sçay que quand vous auriez

Cela que sent vostre presence,

Sans point de faulte vous seriez

Quelque Princesse d'excellence.

 

Estraines = étrennes



Maurice Scève et la querelle Marot-Sagon

 

Quand Clément Marot eut sa querelle avec François Sagon, un médiocre écrivain qui le jalousait et était du parti catholique, deux clans se formèrent. Maurice Scève resta à l'écart des ordures que les deux camps se jetaient à la figure. En 1537, François Juste fit paraître à Lyon une édition du Valet de Marot contre Sagon, sans doute à l’initiative d’Étienne Dolet. C'est un petit opuscule de 16 pages. Outre le texte de Marot contre Sagon, il comprend une préface en français et un tercet en latin d‘Étienne Dolet, suivi d’un distique également en latin signé MS, où celui-ci met en garde Sagon contre sa violence verbale.

 

Curieusement, le Petit Œuvre d'Amour et gage d'amitié, qui parut vers la même époque, comporte un poème d'hommage dédié à François Sagon.  Si Scève est bien l'auteur de ce poème, cela signifie-t-il qu'il n'a pas voulu vraiment prendre parti dans la querelle ? Peut-être désapprouvait-il l'extrême violence de la polémique.  Est-ce un trait de sa personnalité secrète qui se révèle ici ?


Maurice Scève, Marot, Dolet, et la traduction des Psaumes de David

 

Clément Marot était un esprit brillant, libre et frondeur, ouvert aux idées nouvelles sur la religion. Comme Dolet, il fut gravement inquiété par la Sorbonne et à plusieurs reprises emprisonné. Marot a été protégé toute sa vie par Marguerite de Navarre, avec qui il était en proximité de pensée et en lien d'amitié. C'est peut-être à sa demande qu'il a entrepris de traduire du latin une cinquantaine de Psaumes de l'Ancien Testament qui font toujours partie du répertoire protestant. Cependant Marot s'est toujours défendu d'être luthérien ou calviniste. Le soutien que lui accorda François Ier fut  plus fluctuant que celui de sa sœur.

 

La traduction des psaumes de David soulevaient la colère des théologiens qui n'acceptaient pas qu'on mette le texte de la Bible en langue vulgaire. En 1542, Étienne Dolet publia un recueil de Psaumes en français. La plupart, une quarantaine, venait de Marot, mais deux d'entre eux étaient des traductions effectuées par Maurice Scève.

 

L'association Scève-Marot-Dolet constituait une belle affiche, mais potentiellement dangereuse. Scève n'eut pas à souffrir de ce compagnonnage. Parce qu'il a été plus prudent et discret ? Parce ce qu'il n'a jamais lancé d'attaques ? Parce qu'il se tenait loin de la Cour et qu'à travers lui on ne pouvait guère atteindre le roi ?


Page-titre des Œuvres de Clément Marot, publiées à Lyon en 1544

à l'enseigne du Rocher. BnF ark:/12148/bpt6k72060r

Page-titre de Délie publiée en 1544 à Lyon chez Sulpice Sabon

pour Antoine Constantin. BM Lyon Rés. 355912


En 1544, deux éditions de très belle facture sortent de l'atelier de Sulpice Sabon, à Lyon, à l'enseigne du Rocher, pour le compte du marchand libraire Antoine Constantin  :

- Les Œuvres de Clément Marot

- Délie de Maurice Scève

 

Cette étonnante rencontre n'est-elle que le fruit du hasard ? Scève ou Dolet ont-ils joué un rôle pour favoriser cette coïncidence ? Marot lui-même a-t-il contribué à cette édition de ses Œuvres ? L'a-t-il eu en main ? Cela semble peu probable. En novembre 1542, il quitte à nouveau la France pour échapper à ses persécuteurs. Il ne reviendra pas. Il meurt  dans son exil le 10 septembre 1544, à Turin. 


POUR EN SAVOIR PLUS

Lien vers l'exemplaire des Œuvres de Clément Marot du site Gallica

de la Bibliothèque nationale de France

 

Lien vers  la présentation de 
Bibliographie critique des éditions de Clément Marot (ca. 1521-1550)
Par Guillaume Berthon, Librairie Droz