Louise Labé (1524?-1566)


Maurice Scève rend hommage à Louise Labé

 

En grace du Dialogue d’Amour, & de Folie

Euvres de D. Loïze Labé,

Lionnoize

 

Amour est donc pure inclinacion


     Du Ciel en nous, mais non necessitante :


     Ou bien vertu, qui nos cœurs impuissante


     A resister contre son accion ?


C'est donc de l'âme une alteracion


     De vain désir legerement naissante


     A tout objet de l'espoir perissante,


     Comme muable à toute passion ?


Jà ne soit crù, que la douce folie


     D'un libre Amant d'ardeur libre amollie


     Perde son miel en si amer Absinte,


Puis que lon voit un esprit si gentil


     Se recouvrer de ce Chaos sutil,


     Ou de Raison la Loy se laberynte.


NON SI NON LA

Tout ce que l'on sait, véritablement, des liens entre Maurice Scève et Louise Labé provient de ce sonnet qui figure dans les Escriz de divers Poètes, à la louenge de Louïze Labé Lionnoize, à la fin des Euvres de la poétesse, éditées en 1555 par Jean de Tournes. Tout le reste, aussi savant soit-il, n'est que conjecture et interprétation. Ce poème se termine par la devise NON SI NON LA, utilisée par Maurice Scève pour son Microcosme, et qu'on trouve déjà dans Le Petit Œuvre d'Amour et Gage d'amitié. L'attribution de ce sonnet à Scève ne fait guère de doute.

 

Contrairement à la plupart des autres poètes des Escriz, Maurice Scève ne loue pas la beauté de Louise. Sa louange est plus discrète et habile. Il est le seul a faire référence à une pièce singulière des Euvres, le Débat de Folie et d'Amour. Il s'agit d'un petit drame en prose où se déploie une confrontation entre deux conceptions opposées de l'homme. Qui le gouverne ? Amour ou Folie ?  Pour connaître la réponse, il faut lire ce petit chef-d’œuvre d'invention et de verve.



Étude de texte

 

Les quatrains du sonnet de Scève reprennent une interrogation assez traditionnelle sur les différents visages de l'Amour.  Est-il la marque de Dieu dans le cœur de l'homme ou une altération passagère de notre âme changeante ?  Est-ce une simple prédisposition humaine, sans caractère de nécessité, ou une force irrésistible ?

 

Les tercets sont d'une approche plus délicate, du fait de quelques difficultés de lexique et d'une syntaxe tourmentée susceptible d'égarer (volontairement ?) le lecteur.  Au risque de la paraphrase :

Que jamais ne soit cru que la douce folie

D'un libre Amant, libre d'ardeur amollie,

Perde son miel en si amère Absinthe,

Puisque l'on voit un si noble esprit

Se retrouver hors de ce Chaos subtil

Où la Loi de Raison s'égare en un labyrinthe.

 

L'amour est douceur et amertume, chaos subtil et labyrinthe, mais l'amant qui engage librement et fermement sa liberté garde la certitude du plaisir et retrouve la loi de la raison. Comme l'a montré par ses œuvres, Louise Labé, cet "esprit si gentil",  la folie d'Amour est la vraie Raison de l'homme.




Au cœur du labyrinthe, le nom de Louise

 

Dans le dernier vers du sonnet de Scève ("Ou de Raison la Loy se laberynthe"), l'orthographe et la prononciation du XVIe siècle, jointes à une inversion syntaxique, ont permis à Maurice Scève une extraordinaire prouesse verbale. Il a gravé à la fin de son sonnet le nom de Loyse (=Louise) Labé comme un merveilleux et subtil hommage. La découverte du nom de Louise Labé dans le sonnet de Scève revient à Mireille Huchon, Louise Labé, une créature de papier, Droz, 2006. On doit lui rendre cette justice, même si on ne partage pas les conclusions de sa thèse.


Lien vers l'exemplaire des Euvres de Louise Labé de la Bibliothèque municipale de Lyon