Maurice Scève n'a jamais été un poète courtisan comme Marot, du Bellay, ou bien d'autres à son époque. Les biens hérités de son père et son goût de la liberté l'ont sans doute préservé de se mettre au service d'un puissant seigneur et lui ont garanti une forme d'indépendance.
Selon le récit de Jean de Tournes dans sa préface d'Il Petraca, au mois d'octobre 1533, François Ier qui se rendait à Marseille pour négocier avec le pape Clément VII le mariage de son fils, le futur Henri II, avec Catherine de Médicis, fit un détour par Avignon. Il vint se recueillir sur la tombe de Laure, découverte quelques mois plus tôt par Maurice Scève et ses amis. Il la fit rouvrir, il examina le contenu de la boîte de plomb trouvée parmi les ossements et il y ajouta un poème de sa main. Il laissa 1000 écus aux frères cordeliers pour qu'ils élèvent en ce lieu un tombeau digne de Laure, qui ne fut jamais réalisé.
Beaucoup d'incertitudes subsistent concernant la découverte de ce tombeau et l'identité de la personne qui y était inhumée. La mémoire de l'événement a été brouillée, Gabriele Simeoni, attribuant quelques années plus tard la découverte à François Ier lui-même.
Poème déposé par François Ier
dans le tombeau de Laure
En petit lieu comprins vous pouvez voir
Ce qui comprend beaucoup par renommée ; Plume, labeur, la langue et le savoir
Furent vaincus par l'aimant de l'aimée.
O gentille âme ! étant tant estimée,
Qui te pourra louer qu'en se taisant,
Car la parole est toujours réprimée,
Quand le sujet surmonte le disant.
comprins = rassemblés, réunis
Délie fait référence à de nombreux épisodes du règne de François Ier, montrant que Maurice Scève s'intéressait à "l'actualité" de son temps qu'il ressentait et réinterprétait à la lumière de son drame intérieur :
1525 : trahison du Connétable de Bourbon, captivité de François Ier à Madrid après la défaite de Pavie
1527 : mort du Connétable au siège de Rome
1533 : rencontre de François Ier et du pape Clément VII à Marseille
1536 : intervention militaire de François Ier en Savoie contre le duc Charles III, mort du dauphin François
1538 : entrevue entre François Ier et Charles Quint à Nice sous l'égide du pape Paul III
1539 : sauf-conduit accordé par François Ier à Charles Quint pour passer en France avec ses armées afin d'aller mater la révolte de Gand
1541 : avancée des troupes de Soliman Ier en Hongrie
1542 : victoire de François Ier sur Charles Quint à Landrecies.
Plusieurs dizains de Délie sont des hommages appuyés à François Ier. Le respect et l'admiration de Scève pour le roi de France semblent avoir été sincères et profonds.
L'Architecteur de la Machine ronde,
Multipliant sa divine puissance,
Pour enrichir la pauvreté du Monde
Créa FRANÇOIS d'admirable prestance,
Duquel voulant démontrer la constance,
Vertu occulte, il l'a soudain soumis
Aux Faibles mains de ses fiers ennemis,
Chose sans lui vraiement impossible.
Puis, l'acceptant de ses prouvés amis,
L'a remis sus en sa force invincible.
Délie, dizain LIII
Le Ciel, de soi communément avare,
Nous a ci-bas heureusement transmis
Tout le haut bien de perfection rare,
Duquel il s'est totalement démis,
Comme qui veut ses chers et saints amis
D'aucun bienfait hautement prémier.
Car il a plu -non de ce coutumier-
Toute Vertu en ces bas lieux terrestres,
Sous ce grand Roi, ce grand FRANÇOIS premier,
Triomphateur des armes et des lettres.
Délie, dizain CCLII
