Pontus de Tyard (1522-1605)

 


Pontus de Tyard est un auteur injustement oublié de nos jours. Il a donné une œuvre considérable :

- en poésie : trois livres  de ses Erreurs Amoureuses

- en prose : la traduction du Dialogue de l'Amour de Léon Hébreu, six dialogues philosophiques, Douze fables de fleuves et fontaines, des homélies religieuses, etc

 

En 1555, Pierre de Ronsard le cite à ses côtés parmi les membres de la Pléiade, avec Joachim du Bellay, Jacques Peletier du Mans, Rémy Belleau, Antoine de Baïf, Étienne Jodelle. Maurice Scève ne fut jamais reconnu comme membre de la Pléiade.


Les Erreurs amoureuses : hommages de Pontus de Tyard à Maurice Scève

 

Maurice Scève  était plus âgé que Pontus de Tyard d'une vingtaine d'années. Malgré cette différence d'âge, une amitié et une estime réciproques semblent avoir lié durablement les deux hommes, mais les marques de reconnaissance de Tyard envers Scève sont bien plus nombreuses que l'inverse.

 

Lorsqu'il publie le premier volume de ses Erreurs Amoureuses, en 1549, chez Jean de Tournes, Pontus de Tyard  l'introduit par un sonnet dédicatoire à Maurice Scève.  Deux ans plus tard, en 1551, le livre II des Erreurs amoureuses comporte un Chant en faveur de quelques excellens Poëtes de ce tems avec un nouvel hommage à Maurice Scève.


Sonet à Maurice Sceve

 

Si en toy luyt le flambeau gracieux,

Flambeau d'Amour, qui tout gent coeur allume

Comme il faisoit lors, qu'à ta docte plume

Tu fis haulser le vol jusques aux cieux ;

Donne, sans plus une heure à tes deux yeux

Pour voir l'ardeur, qui me brule, et consume

En ses erreurs, qu'Amour sur son enclume

Me fait forger, de travail ocieux.

Tu y pourras recongnoitre la flame,

Qui enflama si hautement ton ame,

Mais non les traits de ta divine veine.

Aussi je prens le blasme en patience,

Prest d'endurer honteuse penitence,

Pour les erreurs de ma jeunesse vaine.

 

Pontus de Tyard, Erreurs Amoureuses, 1549

Chant en faveur de quelques excellens Poëtes de ce tems

 

 (...)

SCEVE si haut sonna

sur l'une & l'autre riviere,

Qu'avecques son mont Forviere

La France s'en estonna :

Qui premier la course ha pris

Par la louable carriere,

Laissant les autres derriere

(Que lui peut en murmurant

Nuire le vil ignorant ?)

Premier emporte le pris,

Auquel tous vont aspirant.

(...)

 

Pontus de Tyard, Erreurs amoureuses, livre II, 1551

 



Solitaire premier, ou prose des Muses (1552) : une vigoureuse défense de Délie

 

Dans ce dialogue philosophique, publié en 1552 par Jean de Tournes, Pontus de Tyard se met en scène avec  une interlocutrice qu'il désigne du nom de Pasithée (=la toute-divine). À un moment de l'échange, la discussion porte sur la nature de la poésie.  Doit-elle tomber dans la simplicité et la facilité pour être accessible à la "vilté du vulgaire" ?

 

Pasithée rappelle une scène vécue, au cours de laquelle un individu afficha devant elle un mépris grossier pour Délie :

"Vous souvient-il point (repliqua elle) de celui, qui un jour arrivant ici, me trouva une Délie en main & de quelle grace, l'ayant prinse, & encore non leu le second vers entier, il se rida le front, & la jetta sus la table à demi courroucé ?"

 

La réponse de Pontus de Tyard (ou de son porte-parole) est un vigoureux plaidoyer  en faveur de Maurice Scève :

"Oh, si fais deà (respondy-je), & ay bien memoire qu'entre autres choses, quand je le vi autant nouveau &incapable d'entendre la raison que les doctes vers du seigneur Maurice Scaeve (lequel vous sçavez, Pasithée, que je nomme toujours avec honneur), je luy rrespondis qu'aussi se souciait bien peu le Seigneur Maurice que sa Delie fust veüe, ni maniee des veaux."


Solitaire Second  ou prose de la musique (1555) : Maurice Scève n'est pas en reste de compliments

 

En 1555, Pontus de Tyard publie, toujours chez Jean de Tournes, un nouveau dialogue philosophique intitulé SOLITAIRE second ou prose de la musique. L'ouvrage comporte un portrait gravé de  Pontus de Tyard "en son an 31" et un sonnet introductif intitulé En grace de si docte Solitaire, signé M. SC.

En grace de si docte Solitaire

M. SC.

 

Qu'a pu juger Egypte, des arts mere,

De Grece, lors qu'au fort de son honneur

A Themistocle amoindrit ce bon heur,

Dont Alexandre avantagea Homere ?

N'ignorant l'Ame avec les Cieux conmere

De l'union de l'harmonial Choeur,

Ha pu sentir se soulager le cœur

Voire & ravir hors sa cure ephimere

Mais plus ha fait ce gentil Solitaire,

N'ayant voulu comme il pouvait, nous taire

Sa Musicale & docte solitude :

Puis que par lui aux nombres de Porphire

A l'Esprit doit en ses travaus sufire

Gouter l'acord de sa beatitude.

 

 Sonnet de Maurice Scève,  dans SOLITAIRE second ou prose de la musique, 1555

 

 

 


Solitaire second reprend la formule du dialogue avec le personnage de Pasithée. Au cours de la discussion Pontus de Tyard aborde les différents types de notation musicale. Le nom de Maurice Scève est une nouvelle fois évoqué, avec beaucoup de chaleur :

"(...) vous ne trouverez hors de propos que j'ajoute une autre mode de marque, laquelle j'ay recueillie d'un fort vieil exemplaire, venu es mes mains par la grace de mon extremement aymé ami, mais non jamais assez honoré de moy, le Signeur Maurice Scève."

 

Il se pourrait que ce "fort vieil exemplaire"  fût la Margarita philosophica de Grégor Reisch, qui a beaucoup inspiré Maurice Scève pour Microcosme. On trouve un chapitre très développé sur la musique dans cette encyclopédie.


Maurice Scève et Pontus de Tyard dans le cortège d'honneur de Louise Labé

 

En 1555, Pontus de Tyard fait partie du cortège des poètes qui donnent un écrit à la louange de Louise Labé. Son sonnet figure  juste après celui de Maurice Scève avec les initiales P.D.T en guise de signature. Ce sonnet sera intégré dans le Livre III des Erreurs amoureuses, paru la même année que les Euvres de Louise Labé.

 

En grace du Dialogue d’Amour, & de Folie

Euvres de D. Loïze Labé, Lionnoize

 

Amour est donc pure inclinacion


     Du Ciel en nous, mais non necessitante :


     Ou bien vertu, qui nos cœurs impuissante


     A resister contre son accion ?


C'est donc de l'âme une alteracion


     De vain désir legerement naissante


     A tout objet de l'espoir perissante,


     Comme muable à toute passion ?


Jà ne soit crù, que la douce folie


     D'un libre Amant d'ardeur libre amollie


     Perde son miel en si amer Absinte,


Puis que lon voit un esprit si gentil


     Se recouvrer de ce Chaos sutil,


     Ou de Raison la Loy se laberynte.


NON SI NON LA

 

 

En contemplacion de D. Louyze Labé.

 

Quel Dieu grava cette magesté douce

    En ce gay port d'une pronte allegresse ?

    De quel liz est, mais de quelle Deesse

    Cette beauté, qui les autres destrousses ?

Quelle syrene hors du sein ce chant pousse,

    Qui décevroit le caut Prince de Grece ?

    Quels sont ces yeus, mais bien quel Trofee est  ce,

    Qui tient d'Amour l'arc, les trets & la trousse ?

Ici le Ciel liberal me fait voir

    En leur parfait, grace, honneur, & savoir,

    Et de vertu le rare témoignage :

Ici le traytre Amour me veut surprendre :

    Ah ! de quel feu brule un cœur ja en cendre ?

    Comme en deux pars ce peut il mettre en gage ?

 

    P.D.T.



Les rencontres de Bissy

 

Pontus de Tyard  était issu d’une noble famille du bailliage de Mâcon. Comme il était le troisième garçon, son père l’avait destiné à devenir homme d’église. Il pouvait donner tout son temps à l’étude et à écrire. Il finit par hériter de la demeure familiale, un grand château seigneurial perché sur un éperon rocheux, dominant le petit village de Bissy-sur-Fley, à une trentaine de kilomètres de Chalon-sur-Saône.  Souvent il y invitait des amis. Maurice Scève y a séjourné à plusieurs reprises, avec d'autres bons esprits du temps, savants, poètes et écrivains, venant de Lyon ou du Mâconnais voisin :  Antoine du Moulin, Claude de Taillemont, Peletier du Mans, Guillaume des Autels, Philibert Bugnynon, etc

 

On y parlait de poésie, de musique,  d'histoire, de religion, de langues anciennes, de mathématiques, d'astronomie, d'astrologie. Quand le temps était beau, le groupe se rassemblait dans un jardin que Pontus avait fait aménager en contre-bas de son château. Là courait un clair ruisseau formant une petite île qu'il appelait son "île pontique".


Le château de Pontus de Tyard à Bissy-sur-Fley, à une trentaine de kilomètres de Chalon-sur-Saône (photos : 2016)


1556 : Maurice Scève : "j’estime la vie m’être donnée de Dieu, comme un dépôt en garde"

 

 Pontus de Tyard a admirablement retracé les entretiens de Bissy dans  un ouvrage paru en 1556, chez Jean de Tournes :
Scève, ou Discours du temps, de l’an et de ses parties.  Scève est l'un des devisants du groupe. La conversation porte sur les différentes méthodes de mesure du temps depuis les Anciens. On aborde le système de Copernic avec une certaine réserve.  À la fin de la discussion, alors que les participants s'étaient un peu échauffés et que le débat avait dévié sur la durée de la vie, Pontus reprend un mot d’Euripide :

"La vie n’est point vie, mais calamité ."

 

Aussitôt il s'attire cette réplique de Scève, vibrante protestation de confiance dans la vie :

"Or je ne sçay (reprint Sceve) quelle particuliere occasion vous fait avec les Thraces, tenir le vivre en si grand mespris. Mais quant à moy j’estime la vie m’estre donnee de Dieu, comme un depost en garde, & vraiment je la garderay tant & si cherement qu’il me sera possible, attendant qu’il plaise au Seigneur, duquel j’en ay la charge, de la r'avoir de moy. »


Pontus de Tyard fut mêlé de près aux événements politiques de son temps. Il resta toujours fidèle à la royauté et à l'église de Rome. Il fut nommé évêque de Chalon en 1578, mais à cette époque Maurice Scève était mort depuis plusieurs années.


Indice bibliographique :

PONTUS DE TYARD, ou l'univers d'un curieux, Emmanuel Mère, Éditions Hérode, 2001