Les frères de Vauzelles

 

Matthieu, Jean et Georges de Vauzelles sont trois frères d'une grande famille lyonnaise, très impliqués dans la vie publique et intellectuelle de leur temps.

 

Il existe des liens très étroits entre la famille de Vauzelles et les Scève, marqués par des mariages et des transmissions de charges publiques :

- Claudine Scève, une des soeurs de Maurice fut l'épouse de Matthieu de Vauzelles.

- Mathieu de Vauzelles reprit la charge de juge-mage du père de Maurice Scève en 1517.

- Le mariage de Jeanne Scève, une autre soeur de Maurice, eut lieu en 1530 dans la maison de Matthieu de Vauzelles : elle épousa Jean III du Choul, cousin germain de Guillaume du Choul, d'une autre grande famille alliée aux Scève. 

Jean II Scève, un cousin germain de Maurice Scève, succéda à Jean de Vauzelles, frère de Matthieu, dans la charge de prieur de Montrottier en 1559.

 

Un arbre généalogique simplifié permet de mieux  cerner la nature des liens entre les familles de Vauzelles, du Choul et Scève.

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Matthieu de Vauzelles (?1490-1562)

 

Juriste, docteur ès droits, Matthieu de Vauzelles assuma de nombreuses charges publiques à Lyon :

- à la Sénéchaussée (cour de justice royale) : lieutenant particulier du sénéchal, juge-mage, avocat du roi

- auprès du chapitre de Saint-Jean : juge civil et criminel des terres de l'église

- au consulat de la ville : il fut échevin

- recteur de l'Aumône générale

- conseiller au parlement de Dombes

 

Il participa au règlement d'un litige entre le consulat et le chapitre de Saint-Jean au sujet du collège de la Trinité. Il intervint en faveur de Barthélemy Aneau pour sa nomination comme principal du collège. Il soutint activement  l'initiative d' Étienne Turchetti et de Barthélemy Naris pour le développement de la soierie à Lyon.


En 1540, Matthieu de Vauzelles publie chez Jean de Tournes un ouvrage audacieux, le Traité des Péages, dans lequel il dénonce les abus des "péagiers" sur les rivières du Lyonnais et de la Dombes, comme autant d'entraves illégales à la circulation des marchandises.

 

Page titre de l'exemplaire de la Bibliothèque Municipale de Lyon



Le Traité des Péages comporte un dizain de Maurice Scève en hommage au travail de l'auteur, qui était son beau-frère.

 

Transcription en français contemporain

 

Maurice Scève

En grâce de si charitable & vertueuse oeuvre de l'auteur

 

(Celui) qui pour la fame (= la renommée), ou l'honneur

entreprend,

Entre Mortels c'est chose autant (=vraiment) louable.

Et (celui) qui labeure à son besoin (= travaille pour son seul besoin), il prend 

Part de la gloire à lui seul profitable.

Mais par sus tous (=plus que tous) est saintement louable

Et tel toujours j'estimerai celui,

Qui sans espoir de loyer, ou d'appui,

Fors de vous (=sauf de votre part), Lois, saintes & éternelles

Travaille au bien, & public & d'autrui

(Comme on peut voir) à l'ombre de vos ailes.



 

Jean de Vauzelles (?1495-1563)

 

Comme son frère Matthieu, Jean de Vauzelles était docteur ès droits, et aussi professeur, après avoir fait des études en Italie. C'était un personnage important,  très impliqué dans la vie publique lyonnaise. Il est le principal organisateur de l'Entrée à Lyon, en 1533, du Dauphin François et d'Éléonore d'Autriche, soeur de Charles Quint, seconde épouse de François 1er. Le livret qui relate cette Entrée est signé de sa devise : "D'un vrai zèle".

 

Jean de Vauzelles collabora avec Maurice Scève pour une autre Entrée : celle d'Hippolyte II d'Este, cardinal de Ferrare, nommé archevêque de Lyon, en 1540. Il est à l'origine, avec un groupe de notables lyonnais, de la création en 1534 de l'Aumône générale, une entreprise de charité publique.

 

Jean de Vauzelles eut aussi d'importantes charges ecclésiastiques :  il fut chevalier du chapitre de la primatiale Saint-Jean, vicaire de l'archevêque, chanoine de Saint-Just,  sacristain et chanoine du chapitre de Fourvière... Pendant plusieurs décennies,  il  fut  bénéficiaire du prieuré de Montrottier, qui dépendait de l'abbaye de Savigny, avant que la charge  ne soit reprise en 1559 par Jean II Scève, un cousin de notre poète. 

 

Il était très introduit à la cour de France, notamment auprès de Louise de Savoie et de Marguerite de Navarre, à la demande de laquelle il traduisit les écrits religieux  du grand écrivain italien Pietro Aretino, dit l'Arétin. Dans une lettre à l'Aretin en 1551, Jean de Vauzelles fait un éloge vibrant de "certains vers qu'un mien frère a composé à la louange de sa Délie". Ce "mien frère",  plus exactement beau frère, c'était bien sûr Maurice Scève.

 

Comme Maurice Scève et de très nombreux autres poètes de cette époque, Jean de Vauzelles a sacrifié à la mode des blasons : on connaît de lui un Blason des cheveux, et un autre plus original, le Blason de la Mort,  dans lequel il  termine par ses mots :

 

"Mais cette mort que vous ai blasonnée

Elle ne fut fors aux humains donnée

Que pour nos corps plus beaux faire renaître

Que nos blasons ne les feront apparaître"

 

Belle proclamation de foi catholique et de mise à distance de la poésie : après la mort, les corps renaîtront, plus beaux qu'ils n'apparaissent dans les blasons.  Jean de Vauzelles fut inhumé dans l'église Sainte-Croix dont les vestiges sont encore visibles dans le parc archéologique jouxtant la cathédrale Saint-Jean.


Une des  oeuvres les plus connues de Jean de Vauzelles s'intitule

Les Simulachres et historiees faces de la mort

 

Cet ouvrage a été publié à Lyon en 1538, par les frères Treschel , avec des gravures de

Hans Holbein le Jeune. L'attribution des textes à Jean de Vauzelles est permise par la présence de sa devise
dans la dédicace à l'abbesse du couvent Saint-Pierre : "Salut d'un vrai zèle"
.

 

Lien vers une version numérisé de l'ouvrage 

(exemplaire de la Bibliothèque Municipale de Lyon)

 


Jean de Vauzelles et Maurice Scève dans l'entourage de Pernette du Guillet et de Louise Labé ?

 

En 1545,  la publication des Rymes de Pernette du Guillet, chez Jean de Tournes, l'année même de sa mort, se clôt par cinq épitaphes. La première de ces épitaphes est signée M. SC. ce qui ne laisse aucun doute sur son auteur. Les deux poèmes suivants sont probablement aussi de la plume de Maurice Scève. Les deux dernières épitaphes sont chacune précédées de trois lettres qui permettent de les attribuer, selon toute vraisemblance, à Jean de Vauzelles :

  • D.V.Z,  initiales D'UN VRAI ZÈLE, devise de Jean de Vauzelles
  • et I.D.V. , initiales de Jean de Vauzelles (I pour J  selon la graphie ancienne)

Dix ans plus tard, en 1555, Jean de Tournes publie les Oeuvres de Louise Labé. Parmi les "divers Poètes", qui ont écrit "à la louenge de Louïze Labé Lionnoize" on reconnaît un sonnet de Maurice Scève qu'il a signé d'une de ses devises "Non si non la". Un autre sonnet se termine par la devise "D'immortel Zèle"  qui fait songer à celle de Jean de Vauzelles, mais cette attribution ne fait pas l'unanimité parmi les spécialistes*.

 

* L'attribution d'un texte à un auteur du XVIe siècle à partir d'une devise est parfois problématique : un même auteur  pouvait utiliser plusieurs  devises au cours de sa vie  (exemple de Maurice Scève) ; une devise pouvait être reprise par plusieurs auteurs avec des variantes.  Matthieu de Vauzelles utilisait la même devise que son frère Jean, mais il s'agissait ici d'une pratique familiale.


 

Georges de Vauzelles (?1492-1557)

 

Le troisième frère de Vauzelles, Georges, était un militaire : chevalier de l'ordre hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem. Suite à la chute de Saint-Jean d'Acre l'ordre se réfugia sur l'île de Rhodes en 1309.  En 1522, Rhodes fut assiégé par les troupes de Soliman le Magnifique qui reprit l'île aux chevaliers. Georges de Vauzelles participa courageusement à la bataille. Après la défaite il revint en France, accompagné d'un jeune homme d'une dizaine d'années, d'origine aristocratique, dont le père, compagnon d'armes,  avait été tué pendant le siège. Il prit en charge l'éducation de ce jeune homme connu sous le nom de Jacques de Vintimille.

 

L'histoire singulière de Jacques de Vintimille et de Georges de Vauzelles, fut racontée par un descendant de la famille de Vauzelles, Ludovic de Vauzelles, dans un ouvrage paru en 1865 sous le titre Vie de Jacques, comte de Vintimille.

 

Lien vers une version  numérisée de cet ouvrage

 

Selon Guillaume du Choul, Georges de Vauzelles avait rapporté de Rhodes des manuscrits grecs qu'il mit à sa disposition et qui lui furent très utiles pour ses propres recherches.

  

En 1530, Charles Quint concéda l'île de Malte aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Georges de Vauzelles devint receveur général puis trésorier de la langue d'Auvergne, division territoriale de  l'ordre de Malte à laquelle Lyon était rattaché. La tombe de Georges de Vauzelles se trouvait dans l'ancienne église Saint-Georges, proche de la commanderie de l'ordre, détruite au XIXe siècle. Il nous reste aujourd'hui  à Lyon une "place de la Commanderie".


Cette notice sur les frères de Vauzelles est redevable à un ouvrage remarquable

Jean de Vauzelles et le creuset lyonnais : 

un humaniste catholique au service de Marguerite de Navarre

entre France, Italie et Allemagne (1520-1550)

par Elsa Kammerer, DROZ (2013)

 

Lien vers le site de la Librairie DROZ